Je vous avais déjà parlé, dans un billet intitulé «Des petits arrangements entre amis de l'UMP à Compiègne» de la vente, en mars 2010, par le ministre du budget de l'époque, Éric Woerth, de l'hippodrome de Compiègne, à un prix défiant toute concurrence et ce, au détriment des finances publiques.
Depuis ce billet, la situation a évolué. Avant de faire le point sur cette affaire, il convient de faire un rapide rappel de ce qui s'est passé depuis que, le 14 juillet 2010.
Le 14 juillet 2010, le Canard enchaîné a affirmé qu'Eric Woerth a «bradé» l'hippodrome de Compiègne «à une société amie». Pour le journal, le terrain avait été bradé, au sens où les estimations d'experts évaluaient à 20 millions d'euros le terrain de cet hippodrome, alors que la vente des fêtes pour un montant d'un peu plus de 2 millions d'euros. Dans cet article, le journaliste, précisait que le terrain avait été vendu 2 000 005 d'euros et que l'hippodrome était constitué “de tous les équipements : tribunes, restaurants, bâtiment administratif, box, pesage, guichets, etc. soit, 5.000 m2 d'immeubles anglo-normands, sur 57 hectares".
Plusieurs experts ont confirmé la sous-évaluation financière de ce terrain, vendu “à la sauvette”, sans appel d'offres,, à quelques jours du départ d'Éric Woerth du ministère du budget et malgré l'avis défavorable des services des précédents ministres ...
Naturellement, l'opposition parlementaire a exigé que toute la lumière soit faite sur cette vente qui, rappelons-le, a affaibli les finances publiques de 18 millions d'euros . Christian Bataille, député socialiste du Nord, a annoncé le 3 Septembre 2010, qu’il saisissait le procureur général de Paris afin de diligenter une enquête judiciaire.
Parallèlement, 7 autres députés du Parti Socialiste ont déposé une plainte auprès du parquet de Compiègne qui a décidé, fin décembre 2010, d'ouvrir une information judiciaire contre X. sur le volet non ministériel de cette affaire et a demandé le dépaysement du dossier.
Le 16 novembre 2010, Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, a saisi la commission des requêtes de la Cour de Justice de la République (CJR) dans le cadre de l'affaire de l 'hippodrome de Compiègne. Éric Woerth étant ministre du budget au moment de la vente de la parcelle de l'hippodrome de Compiègne, la Cour de Justice de la République est la seule juridiction compétente pour juger les crimes et délits commis par des ministres dans le cadre de leurs fonctions.
La commission des requêtes de la Cour de Justice de la République se réunira le 13 janvier 2011 et devra se prononcer sur l'ouverture ou non d’une enquête concernant le rôle et la responsabilité de l'ancien ministre du Budget dans cette vente. Si elle juge la demande recevable, le procureur générale de la Cour de Cassation, Jean-Louis Nadal, saisira alors la commission d'instruction de la CJR, en application de l'article 68-2 de la Constitution.
Voyons maintenant ce qu'Éric Woerth dit pour sa défense
Depuis le début de cette affaire, l'ex ministre du budget affirme haut et fort que tout est légal, que le terrain n'a pas été sous-évalué, que tous les ministères et services concernés étaient d'accord pour que cette vente ait lieu au prix convenu. Il a même tenu à préciser, au cours d'une interview récente au journal le Figaro, que « c'est Matignon qui a tranché le 12 mars 2010 lors d'une réunion informelle » allant même jusqu'à préciser « Ce dossier, a été traité en interne par les administrations et, évidemment, pas par moi. Ce dossier m'a occupé six minutes, peut-être sept ».Une belle manière d'essayer de se défausser de toute responsabilité dans cette affaire.
- Affirmation qui a suscité l'étonnement de Me Saint Michel,représentant les plaignants: « il est surprenant que M. Woerth cite France Domaine dont il est l'autorité de tutelle pour justifier son accord à la cession du 29 octobre 2009 alors que la note de France Domaine sur ce sujet est datée du 24 décembre 2009 » (Soit près de 2 mois après l'accord de l'État !)
- Affirmation qui a valu un démenti poli mais ferme de l'entourage du premier ministre qui n'entend visiblement pas se voir refiler « la patate chaude ».
Il est remarquable qu'Éric Woerth, dans cette affaire comme dans L'affaire Bettencourt, utilise toujours le même système de défense : “ ça n'est pas moi, je n'ai rien fait, je ne sais rien, je ne suis responsable de rien”. Arguments bien connus de tous ceux qui se prétendent innocent et qui fait souvent sourire les professionnels du système judiciaire.
Loin de moi de vouloir anticiper sur la décision que va prendre la Commission des Requêtes de la Cour de Justice de la République. Je voudrais cependant souligner qu'il serait étonnant, au regard du document ci-dessous, en date du 29 octobre 2009, validé par la signature autographe d'Éric Woerth (engageant donc sa responsabilité), que cette commission déclare qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir une enquête sur la vente de l'hippodrome de Compiègne.
Crédit: Inventerre
Pourquoi serait-ce étonnant?
Parce que nous sommes dans un pays de Droit où la loi, et ses principes, s'appliquent théoriquement de la même façon à tous.
Et parce qu'il arrive souvent, lorsque des personnes surendettées se retrouvent devant les tribunaux et essayent de défendre l'argument qu'ils ne se sont pas volontairement endettées, que 99% des juges leur mettent sous le nez les contrats de crédit portant leur signature et leur demandent : « c'est bien votre signature qui est en bas de ce contrat ? ». Ce à quoi les personnes sont bien obligé de reconnaître que oui, elles ont signé un contrat de crédit, le contrat de crédit en trop. Et ce qui amène inexorablement le juge a décider, sans chercher à en savoir plus, que le surendettement a été volontaire et que le surendetté doit assumer ses actes.
Donc, pour en revenir à la lettre ci-dessus, c'est bien la signature du ministre Éric Woerth (c'est écrit en toutes lettres en haut à gauche de la lettre) qui est apposée au bas d'une lettre qui annonce à l'acquéreur de l'hippodrome de Compiègne que l'État (que le ministre représente dans ce courrier officiel) a donné son accord pour la vente et qu'il n'a plus qu'à aller voir le trésorier payeur du Val-d'Oise afin de concrétiser la vente.
En quelque sorte, en signant cette lettre, c'est sa responsabilité légale qu'Éric Worth engage. Comme notre surendetté engage sa responsabilité en signant un contrat de crédit, quand bien même il n'en a pas lu tous les termes.
Alors certes, ça n'est pas en bas du contrat de vente de l'hippodrome de Compiègne qu'on va trouver la signature d'Éric Woerth. Les choses sont ainsi faites dans nos administrations publiques, que, par délégation de signature, c'est probablement celles des représentants départementaux des ministères concernés qui est apposée au bas du contrat. Cependant, Le “brave fonctionnaire” qui a signé le contrat ne l'a fait que parce qu'il est délégataire de la signature ministérielle. Et comme dans toute délégation, c'est le supérieur hiérarchique du grade le plus élevé qui est légalement responsable en cas de problèmes. Ce qui veut dire qu'il y a, dans le circuit hiérarchique qui va du ministre à son représentant territorial, un document initiale, signé par le ministre, stipulant clairement que l'État, en la personne du ministre qu'il représente, autorise M. untel, titulaire de la fonction X., à signer le contrat de vente de l'hippodrome de Compiègne. C'est ce document et lui seul qui permettra d'établir la responsabilité juridique d'Éric Woerth et des autres ministres concernés par cette vente. Nul doute que la commission est au courant de cette pratique imposée dans toutes les administrations d'État et que, pour juger si il y a lieu de poursuivre ou pas, elle aura demandé ce document est surtout qu’il lui aura été transmis.
Nous n'avons plus beaucoup de temps à attendre avant de savoir si un ministre de la République est traité par une juridiction d'exception de la même façon que les n'importe quel citoyen par une juridiction courante.
Sources :Le Parisien ;Le Figaro ;Marianne2 ;Légifrance;Le Nouvel Obs ; Inventerre;
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