dimanche 3 octobre 2010

L'inégalité est-elle consubstantielle à la société?

Je suis tombée, tout à fait par hasard, sur un article du blogueur Autheuil traitant de la schizophrénie de la gauche.

Et c'est plus particulièrement une phrase qui a attiré mon attention.

Afin de dérouler son argumentaire sur la schizophrénie de la gauche, l'auteur prend pour postulat de départ que :"l'inégalité est consubstantielle à la société ». Et de ce fait, nul ne peut sans être schizophrène prétendre à vouloir installer une société qui ne serait pas inégalitaire...

En formulant ainsi son postulat, l'auteur semble vouloir dire que l 'essentiel (consubstantielle) des sociétés c'est l'inégalité. Que les inégalités sont les points permanents dans les sociétés qui changent. Et, nec plus ultra, que quel que soit le changement que ces sociétés introduiront, les inégalités demeureront.

Il y a, de mon point de vue, dans ce genre de formulation, une résignation latente, une tentation de vouloir présenter l'inégalité sociale comme un fait inéluctable.

Résignation ou tentation contre lesquels je m'insurge.

Inspiré par John Locke, Jean-Jacques Rousseau, et quelques autres grands penseurs et acteurs de la révolution de 1789, ou acteurs du Conseil National de la Résistance, je ne peux souscrire à une société produisant des inégalités sans chercher à les réduire. La production d'inégalités c'est un peu comme la production de gaz carbonique !

- On peut s'arrêter au constat, comme le font les libéraux et les ultralibéraux, se dire que c'est inéluctable et attendre la mort, sans rien faire mais en profitant le plus possible des progrès technologiques et du confort de vie que peut apporter la richesse financière.

- Où on peut, comme certains courants politiques proposent de le faire, dépasser le constat est agir.

Pour ma part, je considère qu'il n'y a qu'un seul type d'inégalités sur lequel l'homme ne peut agir, ce sont les inégalités physiologiques, génétiques. Physiquement et mentalement, à part les jumeaux monozygotes, aucun être vivant sur la planète Terre n'est identique aux autres. Nous sommes tous différents et partant de là inégaux.

À ce stade, on ne peut toutefois pas postuler que l'inégalité est consubstantielle à la société. On peut tout juste énoncé qu'avant le fait sociétale, les inégalités existaient déjà. On peut aussi constater qu'elles n'ont pas disparu depuis, voir même que de nouvelles inégalités sont apparues.

Je pense également que si les individus ont abandonné leurs libertés individuelles pour constituer des sociétés, c'est pour essayer de gommer cette inégalité fondamentale qui ne permettait pas aux "moins bien adaptées à leur environnement" de lui survivre. C'est là, à mon avis, le seul intérêt que l'être humain puisse trouver dans la fondation d'une société. Nous avons constitué des Etats dont le but était de créer des lois communes et de les faire appliquer à tous par des institutions ad hoc.

Et pour peaufiner le contrat social passé entre les êtres humains, le" minimum syndical » que puisse demander une personne, en échange de l'aliénation de ses libertés individuelles, c'est de faire en sorte de ne pas ajouter aux inégalités physiologiques des inégalités sociales. De ne pas voir les libertés individuelles qui lui restent, diminuer comme peau de chagrin....

Or, que ce soit dans les systèmes claniques ou dans les systèmes plus évolués comme ceux que nous connaissons actuellement en Europe, et au moins depuis 2000 ans, force est de constater que les inégalités sociales se surajoutent. Non pas parce que nous vivons en société, mais que, pour ce faire, nous avons adopté une organisation de la société extrêmement pyramidale.

Les sociologues des organisations savent pertinemment que les systèmes pyramidaux, privilégient l'émergence d'une élite qui détient tous les pouvoirs (en raison de sa force physique, de sa connaissance, de son savoir-faire en matière de guerre ou de négociation, etc).

En adoptant de tels systèmes, l'individu constitué en société a ainsi fait perdre à ladite société son objectif commun qui était l'entraide et la solidarité afin de protéger collectivement l'individu et sa propriété, au profit de l'objectif de pérennisation de ses pouvoirs, par l'élite qui gouverne.

À ce stade, il est important de différencier la société, en tant que groupement d'êtres humains poursuivant un même but, et son fonctionnement, son organisation, générateur d'inégalités sociales induites par la hiérarchisation des pouvoirs.

Il est également important de bien garder en tête qu'historiquement toutes les révolutions, qu'ont connues les sociétés européennes, n'avaient pour but affiché que de diminuer ou faire disparaître des inégalités sociales trop prégnantes, trop flagrantes, et souvent mortifères. C'est donc que les individus constituant ces sociétés n'interprétaient pas les inégalités comme consubstantielle à la société mais bien à son fonctionnement.

Il n'est qu'à lire les cahiers de doléances ou les enquêtes diligentées entre 1779 et 1789 pour comprendre que, faute de pouvoir supprimer les inégalités physiologiques, génétiques, les individus voulaient trouver un nouveau modèle de fonctionnement, d'organisation de la société, qui ne créerait pas de nouvelles inégalités. Celles du régime monarchique étant par trop criantes, mortifères pour tous ceux qui n'appartenait pas à la haute noblesse ou au haut clergé. Il est également flagrant que les personnes qui s'expriment font le lien direct entre les privilèges attribués à certains membres de la société et leur état personnel d'extrême pauvreté. Ce qu'ils mettent sous l'appellation "inégalités ». En outre, nombreux sont ceux qui réclament que ceux qui transgressent la règle de base de la société soient punis de la même façon que le simple paysan lorsqu'il transgresse les privilèges des hiérarques. Ils élargissent alors le champ des inégalités en stigmatisant le fonctionnement de l'institution élémentaire de la société : la justice et les lois qu'elle applique.

On le voit bien, au travers d'exemples de 1789, mais on pourrait le faire en examinant les révolutions qui ont succédé à cet événement, il n'y a dans ces révolutions aucun élément de doctrines économiques, mais tout simplement une demande forte d'application du contrat social de base qui lie les individus entre eux, depuis qu'ils ont décidé de vivre en société.

Dès lors, il ne faut pas confondre la volonté de faire disparaître l'inégalité avec la confiscation de ces révolutions « populaires » par des castes qui poursuivaient, elle, comme unique but de renverser la caste dominante pour prendre sa place sans modifier le fonctionnement et l'organisation hiérarchisée de la société.

Nous savons, par l'étude des différentes révolutions, qu'effectivement elles s'appuient toutes sur le même schéma de prise de pouvoir qui prédomine.:

- Un mécontentement de classes sociales lésées par la classe dominante

- La prise en main de ce mécontentement par une strate économiquement et culturellement évoluée.

- L'organisation « révolutionnaire » de ce mécontentement afin de destituer la classe dominante.

- La prise de pouvoir par la strate économiquement et culturellement évoluée.

- La construction, par cette nouvelle classe dominante, d'un système de règles et de loi qui lui permettront de pérenniser son pouvoir, en créant une nouvelle hiérarchie sociale qui s'appuiera sur les institutions ad hoc.

Il n'y a dans ce process rien ne consubstantiel à la société. C'est juste un process consubstantiel à l'organisation pyramidale, à la prise de pouvoir dans une société hiérarchisée. Et il n'y a rien de schizophrène à reproduire ce process.

Néanmoins, on peut effectivement s'interroger sur le fait que des groupements politiques, qui prétendent vouloir défendre l'égalité sociale ou plus simplement être révolutionnaire, reproduisent ce schéma. Il y a là une contradiction qui interpelle fortement.

Mais revenons au postulat de départ, à savoir « l'inégalité est consubstantiel à la société ».

- Nous avons déjà précisé que l'inégalité, sous sa forme physiologique, antérieure au regroupement en société.

- Nous avons également précisé que le regroupement en société avait pour unique objectif de diminuer les inégalités physiologiques à fin que chaque individu puisse se protéger et protéger sa propriété de toute agression extérieure.

- Nous avons aussi postulé que c'est l'organisation et le fonctionnement hiérarchisé de nos sociétés qui sont génératrices d'inégalités sociales ou sociétales.

De ce constat, que peut-on faire?

Ce n'est pas une question de doctrines économiques libérales ou communistes, de droite ou de gauche, de républicains ou de démocrates... C'est uniquement une question de choix, de volonté commune, de faire en sorte que les inégalités générées par le fonctionnement, l'organisation, de notre société disparaissent ou pas. Et il me semble que le principal clivage qui existe actuellement entre les citoyens, que ce soit en France ou n'importe où dans le monde, réside dans le fait que certains veulent faire perdurer un système qui génère des inégalités alors que d'autres ne le souhaitent pas.

Pour ce qui me concerne, au-delà des querelles partisanes, je pense qu'il y a un choix collectif de fonctionnement qui peut, et même qui devrait être fait régulièrement. Ce qui est loin de faire parti de la panoplie des propositions que nous font les gros partis politiques français.

À aucun moment de notre histoire, on ne nous a demandé si le contrat social de base, qui consistait à s'associer pour pallier aux inégalités physiologiques incontournables, inhérentes à la structure génétique de l'être humain, pouvait être supplanté par un contrat social générateur de nouvelles inégalités, de nouvelles injustices, contre lesquels l'individu aliéné à la société ne pourrait pas plus se défendre que l'homme des cavernes face à un tigre géant.

Pourtant, posée ainsi, la question est d'importance.

Elle permettrait à tout un chacun de revisiter les motivations profondes, essentielles, fondatrices de leur appartenance au groupe social.

Elle permettrait également, pour les plus individualistes et égoïstes d'entre nous, ou pour les plus soumis aux normes des groupes, de prendre conscience de la nécessité absolue de l'entraide et de la solidarité.

Sources: Le Traité du Gouvernement; Définition de la Société; La Toupie

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