Prétendre, comme le fait Harlem Désir, que le débat qui a eu lieu hier soir sur France2, avec la participation des six candidats à la primaire socialiste, a été “grande soirée de télévision et de politique”, est un peu exagéré. Malgré tout, je suis assez contente de constater que cette émission a été regardée par 4,9 millions de téléspectateurs (ce qui représente une audience moyenne de 22% du public présent devant la télévision jeudi soir). Bien entendu, ces chiffres ne disent pas
- si les téléspectateurs ont apprécié ou pas la prestation de chaque candidat,
- si ,à l'issue de cette émission, ils ont été convaincu par les arguments des uns et des autres ou d'un candidat particulier,
- ni, bien évidemment, pourquoi ils ont décidé de regarder l'émission.
Ceci étant, on peut tout de même supposer que, compte tenu du large choix d'émissions sur la TNT à cette heure-là, ces 4,9 millions de téléspectateurs ne sont pas restées devant leur téléviseur parce qu'il n'avait pas mieux à faire ou à voir... Espérons, comme le fait Françoise Fressoz, journaliste au "Monde, que l'émission aura suscité "une forte envie de connaître le projet des socialistes. Et donc un appétit pour l'alternance"
Je rejoins totalement Renaud Dély lorsqu'il affirme :
Au final, il semble que les seuls déçus par cette émission soient :
- Les politiciens de droite fort incapables de se livrer à un exercice aussi difficile- au cours duquel il faut faire preuve d'indépendance de pensée, d'écoute, de respect pour ses interlocuteurs- tant ils sont assujettis aux éléments de langage que leur distribue la cellule de communication de l'Élysée...
- Les commentateurs du microcosme parisien qui depuis une semaine espèrent que ce débat leur donne raison lorsqu'ils prétendent que Ségolène Royal est agressive et ne cherche qu'à diviser le Parti Socialiste . Hélas pour eux, c'est leurs "favoris interchangeables Hollande-Aubry" qui ont tenu ce rôle hier soirs. Malheureusement pour eux, Ségolène Royal a "su judicieusement rester en retrait des duels à fleurets mouchetés entre Montebourg et Valls d’une part (les « petits candidats » faisant office d’outsiders), et Hollande et Aubry d’autre part (les « gros candidats » du moment)".
Alors bien sûr, à l'issue de ce débat, certains partisans infantiles de chaque candidat, confondant, comme certains journalistes d'ailleurs, débat d'idées et matchs de boxe, ont sauté comme des cabris en tous sens, criant à qui voulait les entendre que le vainqueur du débat était... Il en fut même certains qui , pour tenter d'étayer leurs assertions, se sont appuyés sur des pseudo statistiques dont, comme le démontrent parfaitement Intox 2007, on ne peut tirer aucune conclusion analytique , et qui ne permettent pas de "dire qui a gagné dans ce truc. "
Pour ma part, si j'ai regretté la forme inintéressante de cette émission - qui, dans sa première partie, réduisait le rôle des candidats à celui de postulants à un emploi auquel on demandait de faire une lettre de motivation (introduction de l'émission) puis de passer devant un grand jury de journalistes (comme si c'était les journalistes qui avaient seuls le droit de débattre avec les candidats) - j'ai très nettement apprécié le débat entre tous les candidats. Car c'était la mieux à même de nous permettre, en tant qu'électeur, d'observer le comportement des candidats, tout en prenant connaissance de leurs différents points de vue.
En les écoutant, je cherchais à mieux connaître leurs capacités à résoudre démocratiquement - et non bureaucratiquement - les graves problèmes auxquels certains d'entre nous sont confrontés actuellement et que le plus grand nombre rencontrera dans un proche avenir si des solutions - innovantes, efficaces, supportable financièrement par l'ensemble des citoyens français- ne sont pas rapidement et intelligiblement proposées à notre choix. C'est au travers de ce filtre de la "capacité à résoudre des problèmes sans en générer de nouveaux et en recherchant constamment l'intérêt général", qui caractérise les qualités essentielles de la personne que j'envisage d'élire à la plus haute fonction de l'Etat que porte l'évaluation des candidats qui suit.
Intelligibilité et cohérence des propos tenus
Il ne faut pas perdre de vue que cette émission a été regardée par un grand nombre de concitoyens qui ne passent pas leur journée ou leur temps libre à étudier, dans le détail , la vie et l'œuvre des candidats présents sur le plateau. Mais ils ne sont pas décérébrés et désinformés pour autant. Il était donc important que les propos tenus soient intelligibles et cohérents avec ceux tenus précédemment par les candidats.
À ce niveau, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Ségolène Royal devance de très loin Martine Aubry et François Hollande.
Lorsque David Pujadas demande si l'on pourra restaurer la retraite à 60 ans pour tous, Martine Aubry répond :
«Nous n'avons pas dit que nous ramènerions la retraite à 60 ans pour tout le monde, c'est de la caricature."
Sur un sujet , qui a mobilisé des millions de manifestants s'opposant à la réforme des retraites, il eût été plus judicieux de Martine Aubry se souvienne qu'en juin 2010 elle l'avait bien dit que les socialistes, une fois au pouvoir ramèneraient la retraite à 60 ans pour tous ! Son affirmation d'hier est incohérente et peut très bien être perçu comme méprisante vis-à-vis de ses concitoyens qui eux se souviennent parfaitement de ses propos.
Sur le même sujet, François Hollande est encore plus incohérent et plus incompréhensible lorsqu'il prétend que le projet du PS n'est financé qu'en cas de croissance à 2,5 % et lorsqu'il agite le risque de creuser les déficits si on veut rétablir la retraite à 60 ans pour tous. En cela non seulement il est très flou dans les arguments qu'il donne mais, et c'est nettement plus grave, il utilise le levier psychologique de la peur, manipulation qui est l'apanage de l'UMP.
Le même François Hollande s'est redouble d’incohérence et devient incompréhensible dans ses arguments sur le nucléaire. À l'issue de ses explications, on ne comprend absolument pas si il parle de réduction ou de sortie du nucléaire à l'horizon 2025… et on comprend encore moins de quelle manière il compte solutionner le problème énergétique. J’ai même eu l'impression qu'à ces yeux il n'y avait pas un si gros problème que ça.
Esprit démocratique, technocratique ou bureaucratique
Ce qui caractérise les technocrates, c'est leur aptitude à n'aborder un problème quand le noyant sous un verbiage incompréhensible et déversé sur l'auditoire à grande vitesse. Et ce, surtout quand ils n'ont aucune solution à proposer et/ou quand la solution qu'ils avancent va faire des remous qu’ils redoutent.
À de nombreuses reprises, François Hollande a présenté ce type de comportement. Assénant très souvent des approximations de façon péremptoire, en haussant le ton, en accélérant son débit de parole, il a cru probablement impressionner ses auditeurs. Mais s'il n'en reste pas moins que ses propos, notamment en matière de déficit financier, sont totalement vide de toute solution concrète:
- "Hollande: Je dis les mots que j'emploie".
- "Hollande: Nous ferons ce que les disponibilités de la croissance nous permettront"
- "Hollande: Donc il faudra soutenir la croissance en prenant des mesures"
Même en lisant attentivement ces deux phrases, sans a priori, au calme, il est extrêmement difficile de leur trouver un sens compréhensible par le commun des mortels, et encore moins l'ébauche d'un embryon de solution.
Martine Aubry, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet sont, eux, plus proche du langage bureaucratique qui se caractérise, tout le monde le sait, par la bonne vieille injonction « Y'a ka, Faut kon » jamais suivi de solutions concrètes :
- "Baylet : "les PME françaises sont les moins exportatrices, il faut leur réserver 30 % de la commande publique"
- "Aubry : Il faut retrouver du courage politique."
- "Valls : il faut de la clarté sur notre système d'attribution des titres de séjour"
On le voit à la lecture de ces trois verbatim, l'auditeur reste sur sa faim et, faute de propositions de solution concrète, ne peut évaluer l'intérêt de la proposition qui lui est faite.
Ségolène Royal, et Arnaud Montebourg identifient le problème ET proposent des solutions.
- "Royal " 'je veux mettre fin à l'hyperconcentration du pouvoir du président de la République" (le problème : l'hyperconcentration du pouvoir du président de la république pose problème au fonctionnement de la démocratie) "mieux répartir les compétences entre les différentes collectivités territoriales (la solution : on dit que les compétences entre les différentes collectivités territoriales)
- "Montebourg sur les banques : "Je préfère les mettre sous tutelle avant qu'elles ne nous mettent sous tutelle." (Le problème : les banques vont nous mettre sous tutelle) "L'Etat entrera d'autorité au capital des banques, nous procèderons à l'interdiction de la spéculation avec l'argent d'autrui". (les solutions : entrée au capital des banques et interdictions de spéculer avec l'argent d'autrui)
Voilà, vous l'aurez compris, si, comme moi, vous comptez déléguer vos pouvoirs de citoyen à un chef de l'État qui saura innover en mettant en place des solutions qui ne sont pas celles que ses prédécesseurs appliquent depuis des décennies (avec le peu de succès que l'on connaît), si vous voulez que ce chef de l'État énonce clairement ce qu'il conçoit bien, à fin que vous puissiez contrôler sans difficulté qu'il tient bien les promesses qui nous a faites , ça n'est ni vers François Hollande, Martine Aubry, Manuel Valls ou Jean-Michel Baylet que votre choix doit se porter.
Ils n'ont, malheureusement pour eux, pas les compétences nécessaires pour, en période de crise, orienter notre pays vers un avenir prometteur.
Le premier parce que , au final, il n'est que le portrait passe-partout de ces hommes et femmes politiques, férues de stratégie ( culture?) politicienne, dont le seul but est de faire prévaloir leurs propres intérêts ou celui de leur caste, et les trois autres parce que sans être aussi traditionaliste et conservateur que le premier, ils planent bien trop haut dans le système pyramidal, qui étouffe la grande masse des citoyens, pour avoir encore une once de savoir pratique susceptible de les faire agir dans l'intérêt du plus grand nombre. Le pire, ce qui les rendrait presque sympathique, c'est qu'en toute bonne foi ils se prévalent de valeurs qui sont contredites par l'observation de leurs actions et comportements.
Conclusion
A ce stade des débats, on ne peut vraiment dire si les arguments, plus ou moins fondés et vérifiables, qui ont été avancés par les participants à ce débat télévisé sont de nature à modifier l'opinion de la grande majorité des Français sur les programmes des uns et des autres. Cependant il est évident qu'un tel débat a permis à un grand nombre de téléspectateurs de s'intéresser au processus de la primaire qui aura lieu en octobre.
C'est déjà ça...
Sources : site d'Harlem Désir ; Reuters ; Le Monde ; le Nouvel Obs ; Richardtrois ; Gabale ; Intox 2007 ; le Figaro
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