Les élections cantonales sont terminées, les présidents de conseils généraux sont élus, le spectacle politique affligeant de partis politiques en flagrant délit de racolage électoral, auquel nous avons pu assister depuis quelques semaines, est donc en sommeil jusqu’à la prochaine élection présidentielle.
Si un millier de nos concitoyens a acquis, grâce à nos bulletins de vote, la certitude que pendant 3 ans il ne serait pas obligé d'aller pointer au chômage, quelques millions d'autres concitoyens, inscrits sur les listes électorales, ont préféré, en s’abstenant d’aller voter, de signifier au monde politique actuel leur lassitude de se voir traiter comme des « consommateurs du candidat qu'on essaie de nous vendre comme un nouveau yaourt » et non comme des électeurs adultes, capables de choisir et désireux de le faire dans un panel de candidats le plus exhaustif et représentatifs possible.
Les résultats concernant les votes de ces élections cantonales de 2011 sont significatifs, non pas de la dépolitisation des électeurs français, mais bien, de mon point de vue, du peu de diversité de candidatures et de la « normalisation/standardisation » des discours politiques.
Les dernières élections européennes avaient connu un taux d'abstention supérieure à 59,37 %, sans que cela n'alerte outre mesure les différents partis politiques présents sur l'échiquier électoral français.Pourtant, 44,4 millions d'électeurs avaient fait la démarche d'aller s'inscrire sur les listes électorales pour pouvoir voter. Cela veut dire clairement qu'il n'y a aucun désintérêt pour la vie politique et pour l'acte de voter. Néanmoins, quand bien même les élections cantonales ne concernaient que 21,4 millions d'électeurs, puisqu'il ne s'agissait que d'un renouvèlement de certains sièges, le taux d'abstention des dernières élections cantonales a atteint 55,03 % lors du second tour, après s'être élevé à 55,68 % au premier tour. 0,65 % de baisse de l'abstention. Voilà le résultat de ce que la gauche a appelé le front républicain face la montée de l'extrême droite. On ne peut pas vraiment dire que les grands leaders de gauche qui se sont exprimés entre les deux tours aient recueillis un franc succès.
Bien entendu, comme d'habitude, sur les différents plateaux de télévision qui présentait dimanche dernier, une soirée électorale, les leaders politiques se sont bien gardés de commenter ce taux d'abstention inquiétant.
Pour la plupart ils se sont contentés de prétendre qu'ils avaient gagné, ou du moins qu'ils n'avaient pas perdu, d'accuser leurs adversaires politiques d'être responsable tous les maux et, pour mieux encore dégouter les quelques téléspectateurs qui assistaient à leur prestation, ont très vite fait diversion en se projetant sur l'élection présidentielle de 2012. Voilà donc le triste spectacle que nous ont offert nos hommes et nos femmes politiques, alors même que plus de la moitié des personnes inscrites sur les listes électorales avait préféré s'abstenir de voter.
Bien entendu, parmi les militants et le personnel politique qui ont commenté l'abstention, certains se sont montrés dogmatiques allant jusqu'à prétendre que : « le vote n'est pas simplement un droit, c'est un devoir ». Affirmation totalement fausse, vous pouvez éplucher tous les codes électoraux et la Constitution française, le vote est un droit est uniquement un droit et comme tous les droits chaque citoyen est entièrement libre d’en disposer, de s'en servir ou de ne pas s'en servir.
Pour mieux montrer leur indignation face à l'incivisme de leurs concitoyens, d'autres ont cru bon de préciser qu'à l'heure ou dans le monde arabe certain sont prêts à mourir pour obtenir le droit de vote, s'abstenir de voter pour les cantonales était purement et simplement une honte. Je voudrais signaler à ceux la que dans la plupart des pays arabes dans lesquelles des « révolutions » ont lieu actuellement, les peuples ont le droit de vote et que si ils manifestent, ça n'est pas pour l'obtenir mais tout simplement parce que certains de leurs dirigeants ont dévoyé la Démocratie et fortement dénaturée le vote des citoyens.
Très peu des commentateurs ont cherché à comprendre les causes de l'abstention massive que connaît la France depuis bientôt plus de trois ans.Trop fatigant peut être…
Pensez donc, il fallait s'intéresser non pas aux « sondages PMU » sur l'élection présidentielle qui aura lieu dans un an et demi, mais aux enquêtes qui ont suivi immédiatement le vote des cantonales. À ce titre, le baromètre du Cevipof est particulièrement intéressant. On y découvre que :
- 67 % des personnes sondées n'ont ni confiance dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays.
- 78 % des personnes sondées estiment que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens.
- 68 % des personnes sondées pensent que la droite et la gauche, une fois au pouvoir, mène la même politique
- 89 % des personnes sondées pensent que les marchés financiers sont plus puissants que les états. 74 % des Français pensent que l'Europe et ses traités brident l'action du gouvernement
- 96 % des personnes sondées pensent que le vrai pouvoir est exercé par les banquiers et les financiers. 88 % pensent que le vrai pouvoir est exercé par les patrons du CAC 40, 80 % qu'il est exercé par les médias et 85 % qu'il est exercé par l'union européenne
Il y a donc une défiance réelle et maintenant fortement ancrée chez les électeurs à l'encontre du système et du personnel politique français.
Le système politique est perçu comme impuissant à changer le rapport de forces avec le pouvoir économique et financier et le personnel politique est perçu comme « peu sincère et peu honnête ».
Ainsi donc, les électeurs français ont une perception négative du personnel politique et développe une méfiance certaine envers ses compétences à gouverner que ce soit à l'échelon local, régional ou national.
Sur le plan sociodémographique, on note que l'abstention des jeunes générations est beaucoup plus importante que celle des plus âgés. Le personnel politique est perçu comme uniforme, unidogme, et incapable de « changer la vie » des citoyens. Il est remarquable que ce soit les jeunes générations, confrontées depuis leur naissance à des crises économiques à répétition, fragilisées dans leur emploi, dans leur protection sociale, privées petit à petit du droit à être soigné et éduqué convenablement, qui déclare s'abstenir massivement. En cela, il me parait extrêmement important de bien comprendre que leur abstention n'est pas de l'incivisme mais bel et bien un acte politique qu'il faut bien se garder de stigmatiser et de mépriser. N'oublions pas que ces jeunes générations sont actuellement sacrifiées par le même personnel et système politique qui prétend les motiver à aller voter.
Quelques commentateurs ont essayé de trouver des solutions pour faire en sorte que le taux d'abstention diminue. Parmi ces solutions, la plus autoritaire que l'on puisse faire a été énoncé par Laurent Fabius et quelques autres : rendre le vote obligatoire.
Au regard des résultats des différentes enquêtes menées après les élections européennes, les élections régionales et cantonales, on comprend très vite que Laurent Fabius est totalement “à côté de la plaque” et qu'il n'entend rien aux motivations des abstentionnistes. La solution du vote obligatoire parait surréaliste quand on envisage de l'appliquer à une population qui considère que ses représentants n'ont plus aucun pouvoir. Dans cette perspective, le vote obligatoire ne serait plus qu'une formalité administrative visant à rendre l'élection conforme à une définition bureaucratique de la démocratie. Et comme je l'ai entendu lors d'un entretien, si l'on part dans cette « dérive autoritariste, pourquoi pas rendre la consommation, la procréation, le militantisme obligatoire !
Plus sérieusement, on comprend bien que derrière cette proposition, Laurent Fabius exprime sa crainte de l'impact d'une forte abstention sur la mécanique électorale et la fragilisation de la légitimité des élus qu’elle induit. Mais faute de remettre en cause les mécanismes électoraux qu'il a contribué à mettre en place, avec les résultats désastreux que nous connaissons aujourd'hui, Laurent Fabius préfère contraindre ses concitoyens a aller voter à tout prix, quand bien même ce sera pour mettre un bulletin blanc dans l'enveloppe.
Une autre solution proposée consisterait à prendre en compte le vote blanc afin de pallier aux imperfections du système électoral actuel.
Outre le fait que la reconnaissance du vote blanc est un sujet qui a souvent été évoqué mais que, depuis le milieu du XIXe siècle, et ce quelle que soit la majorité présidentielle, on n'a jamais essayé d'appliquer, force est de constater que le vote blanc n'est plus considéré comme un choix électoral possible. Il fut un temps où les législateurs étaient plus fidèles à une certaine idée de la Démocratie et reconnaissaient, à travers le vote, le droit d'expression et de révocation des représentants des électeurs. Il semble qu'actuellement le vote ne soit plus considéré que comme un moyen de révoquer les élus en place, à des périodes régulières, généralement fixé à 5 ans. Ce qui a conduit les législateurs à traiter le vote blanc de façon assez paradoxale: il est comptabilisé dans l'énoncé du scrutin, puis oublié dans le calcul des résultats des élections.
Reconnaitre le vote blanc, veut dire qu'il va falloir élargir le droit de révocation , inhérents d'ailleurs au concept de démocratie (gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple). Cela va nécessiter également une requalification juridique et une prise en compte des motivations du vote blanc.
D'après un sondage du centre d'études et de connaissances sur l'opinion publique , les motivations d'un vote blanc sont principalement :
- le refus des candidats en présence par 36 % des personnes sondées
- une hostilité à l'égard de la politique pour 35 % des personnes sondées
- une difficulté à choisir entre les candidats pour 20 % des personnes sondées
- un désintérêt (13 % des personnes sondées)
- le manque d'information pour 11 % des personnes sondées
Majoritairement, les personnes qui votent blanc n'ont pas trouvé parmi les candidats qui se présentent à l'élection celui ou celle qu'ils jugent apte à les représenter. Ce résultat concernant le vote blanc est à rapprocher des sondages sur l'abstention car il s'agit bien là des qualités et aptitudes des candidats tels que les perçoivent les électeurs. Il y a donc là matière à réflexion et un changement radical pour les aspirants et politiciens de métiers.
L'argument de la difficulté de choix entre des candidats, lors du vote blanc, est à rapprocher du sentiment des abstentionnistes que la droite et la gauche, une fois au pouvoir, mène la même politique. Là aussi, les appareils et le personnel politiques - si ils veulent, conformément à leur mission constitutionnelle, favoriser l'expression pleine et entière de la Démocratie - doivent impérativement modifier en profondeur leur manière de servir leurs concitoyens. Pour certains d'entre eux, malheureusement très nombreux, c'est une révolution qu’ils vont devoir faire, car ils ont depuis très longtemps pris l'habitude de se servir de leurs concitoyens et non plus de les servir. En seront-ils capables de leur plein gré ou faudra-t-il que les citoyens les y obligent, tel est l'ampleur du problème auquel nous somme confronté actuellement?
Article 28. Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
Au regard des résultats des élections cantonales de 2011, on peut se demander si à droite comme à gauche, certains ont bien compris que l'abstention massive, comme le dit Arnaud Montebourg, est
"un sérieux message d'incroyance et de désamour à l'encontre des partis de gouvernement ou aspirant à le redevenir ».
Il va donc falloir réformer le système politique et cela ne peut plus attendre.
Cela peut passer, comme le propose Marc Vasseur, par une remise à plat des différents échelons politiques, par une généralisation de la proportionnelle à tous les scrutins, par une limitation de tous les mandats dans le temps . A cela j'ajouterai, entre autres, une interdiction formelle de cumuler les mandats quel qu'il soit - locaux, régionaux ou nationaux, électoraux ou privés - l'impossibilité pour un élu de se présenter à une autre élection- nationale ou européenne- tant que son mandat n'est pas arrivé à échéance, une parité socioprofessionnelle représentative du poids réel de chaque catégorie dans la population française, afin que nos assemblées ne ressemblent plus à des « clubs de professions libérales et de riches héritiers », l'instauration de jurys populaires seuls habilités à exercer les contrôles - qu'il porte sur les conflits d'intérêts ou sur les finances publiques - de l'exercice du pouvoir qu'il soit exécutif législatif ou judiciaire, local ou national.
Faute de ces réformes indispensables du système politique actuel, comme l'a très justement dit Ségolène Royal au sujet de l'abstention :
"Aucun démocrate ne peut s’en réjouir. Il ne s’agit pas d’un mouvement d’humeur. Les citoyens se sentent vraiment dépossédés.Un puissant effort de rénovation de la démocratie doit être fait. La politique doit être juste et morale. La gauche doit porter une véritable alternative enthousiasmante. Tels sont les défis que nous devrons relever dans les mois qui viennent si l’on veut que les gens reviennent participer pour choisir une autre voie en 2012".
Si malheureusement les appareils politiques, et surtout la gauche française, n'entreprennent pas très vite ces changements et ne s'engagent pas solennellement à introduire en priorité les modifications du système et du code électoral qui s'imposent, il est à craindre ( ou à espérer) que de plus en plus de citoyens français, même parmi ceux qui sont les plus engagés politiquement, ne transforme leur abstentionnisme et/ou leur vote blanc en révolution...
Une pétition est en ligne pour obtenir la reconnaissance du vote blanc. Pour la signer, c'est ici
Sources : Le Parisien ; l'Express ; Cevifop ; Revue de l'actualité juridique française; Le Monde; Des Idées et des Rêves ; Marc Vasseur ; le Figaro
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