Traditionnellement, en sociologie des organisations, on considère que le pouvoir s'exerce et se conquiert lorsqu'on maîtrise/contrôle totalement l'information, les règles, les moyens ou ressources.
Ces 3 piliers de pouvoir peuvent être répartis entre différents services, entités ou individus, où ils peuvent être concentrés au sein d'un même service ou entre les mains d'un même individu. Le pouvoir sur l'information se joue non seulement sur la diffusion de l'information mais également sur la possession de l'information avant les autres et sur le choix du contenu diffusé.
Dans le concept de Démocratie, on retrouve un peu ce principe dans la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaire. On voit dans certaines dictatures à quel point il est dangereux que l'information soit totalement sous la coupe du pouvoir politico-économique. Le malheur, à l'heure actuelle, c'est que dans énormément de pays qui se disent démocratiques, le pouvoir politique (pouvoir de décisions législatives et exécutives) et le pouvoir économique (moyens) veulent maîtriser totalement l'information.
Pour ce faire, ils n'hésitent pas à étouffer financièrement les médias indépendants et ont mis en place des agences de presse qui « pré digèrent » et dispatchent l'information aux organes de presse. Malgré cela, ces organes de presse ont gardé la possibilité de s'informer avec leurs propres moyens (journalistes, reporters, réseaux). Noam Chomsky et Édward Herman ont particulièrement bien démontré dans leur livre “La fabrication du consentement”, comment un groupe organisé pouvait, s'il maîtrisait totalement, de bout en bout, la production d'informations, obtenir absolument tout ce qu'il désire du plus grand nombre d'êtres humains.
Ainsi, en prenant des parts dans le capital des agences de presse, des journaux traditionnels, des télévisions, des sites Internet, de l'industrie audiovisuelle, de l'édition de livres, de la publicité etc. les multinationales ont, aux États-Unis comme en France et ailleurs dans le monde, la mainmise sur l'information. Elles peuvent agir sur les choix des individus en les orientant par le choix des contenus qu'elles diffusent.
On peut illustrer une partie du pouvoir que représente l'information au travers du délit d'initié.
Imaginons un boursicoteur qui aurait ,quelques heures avant les autres, l'information que telle action de telle entreprise va prendre de la valeur. Il lui suffit d'acheter, avant les autres, toutes les actions disponibles sur le marché pour réaliser un énorme bénéfice en les revendant après la diffusion officielle de l’information. Donc, avoir l'information avant les autres peut-être un avantage énorme.
Avoir des informations que d'autres n'ont pas représentent également un énorme avantage.
C'est un des principes qui régissent le secret. Secret qu'on développe particulièrement en période conflictuelle, en temps de guerre, que ce soit une guerre territoriale ou une guerre économique. À notre époque les 2 types de guerre sont étroitement mêlés, il n'est qu'à voir les rebondissements de l'affaire Karachi. Le secret, la culture du secret, est aussi extrêmement développé dans le monde de la diplomatie, surtout à notre époque où l'on a fâcheusement tendance à confondre diplomatie et espionnage. Ce qui concourt énormément à renforcer cette culture du secret qui frôle la paranoïa et/où la schizophrénie.
Le résultat est le suivant : il s'échange entre les différentes ambassades, consulats, des différents pays, un nombre incalculable de dépêches dont la plupart n'ont intrinsèquement aucune valeur informative réellement secrète et/ou stratégiques.
Pour les citoyens qui observent le ballet diplomatique, les agissements des dirigeants mondiaux,par déduction ou analyse, leur permet de parvenir à une information empirique équivalente à celle contenue par ses dépêches. Mais, n'étant pas dans le secret, la déduction n'a aucune valeur « informative ». Elle n'est qu'une opinion, à la limite d'une intuition. Et une opinion n'est jamais un pouvoir, dans notre logique cartésienne et élitiste.
Par contre, détenir les secrets, ou ce qui est assimilé à un secret, diplomatiques, est un pouvoir équivalent à celui d’un initié boursicoteur. Un chef d'État et ses services diplomatiques peuvent décider de ne délivrer aux peuples qu'ils gouvernent qu'une infime partie de ce secret. En général il se réfugieront derrière le secret défense, derrière la sécurité du territoire, pour ne pas en dire plus.
Qui plus est, partager un secret crée un lien de dépendance entre 2 détenteurs du même secret. La culture du secret, en diplomatie n'est pas très éloigné des liens de domination ou d'allégeance. On ne partage généralement ses secrets qu'avec des personnes proches... Ou son psychanalyste.
Au travers de l'affaire Wikileaks et de la mise en ligne de dépêches diplomatiques, vieilles de plus de 6 mois (donc éloigné de l'actualité), sur différents sites Internet mondiaux, et des réactions qu'elles ont provoquées tant sur le plan gouvernemental qu'au niveau des citoyens, nous avons un magnifique exemple du pouvoir que représente la maîtrise totale de l'information.
Que s'est-il donc passé ?
Wikileaks s'est procuré, apparemment par une source diplomatique américaine, une énorme quantité de dépêches diplomatiques concernant les contacts entre les différents représentants de la diplomatie américaine et les autres diplomates mondiaux.
L’équipe de Wikileaks a décidé de publier uniquement des dépêches qui n'étaient pas classées à un haut niveau de secret. Elle a également été décidé de ne pas diffuser de dépêches qui pourraient mettre en danger la vie de membres du corps consulaire ayant une activité d'espionnage.
Puis, Wikileaks s'est associé avec différents journaux internationaux pour que ses dépêches soient rendues public et mises à disposition de tous les citoyens. Chaque journal a eu en charge la traduction de ses dépêches. La diffusion a commencé début décembre 2010 avec la mise en ligne sur différents sites Internet hébergé sur des serveurs éparpillés dans le monde.
Bref Wikileaks et les médias partenaires on utiliser leur pouvoir d’information en maitrisant la chaine informative de bout en bout, ce qui est un droit absolu que leur a donné les conventions internationales.
A priori, dans la mesure où les journaux et Wikileaks ont pris la peine de ne diffuser que des dépêches ne mettant en cause que des personnalités connues et que des informations ne mettant en danger ni la vie des individus ni la sécurité des territoires, on ne peut considérer cette démarche que comme une démarche d'information journalistique. Au travers des dépêches publiées, il est impossible de localiser des bases militaires secrètes, des formules d'armement, des lieux et des personnes stratégiques . Il n'y a donc aucune atteinte à la sécurité des territoires et des personnes.
Quelles réactions?
1) Au niveau des citoyens, le panel de réactions va de l'indifférence, en passant par le dénigrement des informations diffusées, où les questionnements sur l'intérêt d'une telle manoeuvre, et la curiosité amusée vis-à-vis du contenu réel. Une lecture rapide des commentaires sur les sites de médias en ligne français montre qu'à part les dépêches qui portaient sur la description des manies de diplomates français, les commentaires étaient relativement peu nombreux.
Les réactions à la réaction de Besson sont très nettement plus nombreuses et défavorables à sa volonté de limiter la liberté d'expression et la liberté d'information.
2) Les services secrets américains et le Pentagone ne voit pas cet acte d'information sous cet angle ! Et bien entendu les dirigeants politiques des pays inféodés aux États-Unis se croient obligés de leur emboîter le pas.
Et ils n'y vont pas avec le dos de la cuiller !
Très curieusement, dès que Wikileaks a annoncé qu'il allait publier les dépêches, son directeur a été accusé de viol, en Suède. Et alors que Roman Polansky, condamnée aux États-Unis pour le même délit de viol, à pu, pendant plus de 20 ans, couler des jours heureux en France, en Suède, en Angleterre, partout en Europe, sans être le moins du monde inquiété, le directeur de Wikileaks est traqué, menacé de mort, les sites qui hébergent les données sont l'objet de pressions pour cesser leur hébergement.
En fait les médias ont relayé à ce sujet une information déformée. Le mandat d’arrêt ne parle en aucun cas de viol mais de relations sexuelles consentantes, non protégée par un préservatif….ce qui n’est pas un crime en Suède ( pays qui a lancé le mandat d’arrête international) mais un simple délit!!!
Mandat d’arrêt international et traque de J.Assange apparaissent alors des réactions totalement disproportionnée compte tenu du délit reproché. Et le mandat d’arrêt parait un subterfuge, un prétexte pris par les pays alliés pour neutraliser Assange , faute d’avoir les moyens légaux de le poursuivre pour un crime qu’il n’a pas commis au regard des législations internationales, surtout lorsqu'on a pris la peine de lire les dépêches publiées. Car force est de constater que ces dépêches ne contiennent, somme toute, que des informations très banales et nettement moins compromettantes que celle qu'on peut trouver dans les journaux people.
Le seul danger véritable que ses dépêches représentent c'est qu'elles confortent l'opinion des citoyens au sujet de certains événements que le pouvoir politique ou économique a quelque peu maquillés lorsqu'ils ont eu lieu. Comme bon nombre d'entre elles contiennent des jugements sur certains dirigeants mondiaux et que ces jugements ne sont pas toujours très positifs, elles peuvent également “casser l'image” que ces mêmes dirigeants veulent donner d'eux-mêmes, à grands coups de propagande dans les médias amis (ou achetés) . Et cela est très contrariant, dans une mondialisation où l'on aimerait bien sacraliser les dirigeants, en faire des demi-dieux intouchables, des icônes tout sachant, omnipotentes.
Mais, en Démocratie, contrarier quelqu'un, fut-il un chef d’Etat, n'est pas un crime... Enfin pas encore !
- Et cela mérite-t-il de traquer un homme et de le menacer de mort ?
- Cela mérite-t-il qu'un ministre de la république française se renseigne pour savoir comment il pourrait empêcher les entreprises commerciales, théoriquement indépendantes du pouvoir exécutif, de vendre leurs services à Wikileaks ?
- Cela justifie-t-il que le gouvernement soit prêt à brimer encore davantage qu'il ne l'a fait depuis 2007 la liberté d'expression et la liberté de la presse ?
- N'est-il pas temps de rappeler à nos dirigeants, qui se permettent d'attaquer des pays au nom de la Démocratie, que précisément la Démocratie c'est le pouvoir du peuple, exercé au nom du peuple pour le peuple? Et qu'à ce titre le peuple a le droit d'être informé de tout ce qu'on fait en son nom et dans son intérêt. Majoritairement le peuple est constitué d'individus adultes qui, si ceux qui les gouvernent ont respecté le contrat, sont suffisamment éduquées pour comprendre ce qui se fait en leur nom et avec le mandat qu'ils ont donné mais qu'ils peuvent reprendre.
Il serait très malséant qu'au lieu de mettre toute leur énergie à traquer un homme, à salir sa réputation en le faisant passer pour un violeur qu’il n’est absolument pas, alors que le pouvoir économique a totalement raté sa mission qui est, en contrepartie d'énormes avantages que les peuples lui ont accordés, de fournir à ces mêmes peuples les moyens de satisfaire à leurs besoins essentiels de vie décente, les pouvoirs politiques ne se consacrent pas à remplir les obligations qu'ils ont envers ceux à qui ils doivent des comptes.
Et au final, je me demande si, devant la banalité du contenu de ces dépêches, ce que craignent le plus les diplomates et les dirigeants mondiaux, ça n'est pas que nous nous rendions compte qu'ils passent leur temps à faire des potins de commères, de la psychologie de comptoir, des caprices de divas, payés à coups de milliards.
Je me demande même si, comme ils ont su le faire pour Ben Laden, nos dirigeants mondiaux ne sont pas en train de monter en épingle la diffusion de ses dépêches, pour faire diversion et nous faire oublier qu'ils sont totalement incompétents depuis 2008 pour endiguer le chômage, réguler la finance mondiale, obliger le pouvoir économique à créer des emplois localement, et gérer les finances publiques sans endetter les pays qu'ils ont en charge de gouverner au nom et pour le peuple.
Leurs réactions disproportionnées ne serait alors qu’une tentative de reprendre aux journalistes le pouvoir sur l'information, sa diffusion, le contrôle de son contenu. Une réaction révélatrice de la tentation totalitaire de certains gouvernants dont nous ne devons absolument pas être dupe. Une réaction inadmissible qui vise à opposer à un homme seul la puissance de feu de pays surpuissants afin de le broyer.
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