Dans une tribune éditée par le journal Le Monde, Manuel Valls expose son diagnostic sur la situation actuelle de la France. Puis il s'applique à démontrer en quoi la société du « care », proposée par Martine Aubry, serait une régression pour la France. Après avoir remis à plat les erreurs commises par Nicolas Sarkozy, il nous confie les grandes lignes de ce que devrait être le projet socialiste pour 2012.
Le diagnostic de Manuel Valls porte sur deux points, la perte de confiance des Français et l'analyse de l'échec de Nicolas Sarkozy.
La perte de confiance généralisée des Français porte non seulement en ceux qui conduisent le pays, mais également dans leurs «capacités individuelles à se construire un avenir ». Les causes principales de cette perte de confiance sont liés au durcissement de la société. Cette perte de confiance générerait une souffrance, parce que l'individu est empêché dans « sa capacité d'agir et de répondre aux besoins essentiels de sa famille ». Incapacité d'agir essentiellement provoquée par l'État-providence.
Pour le maire d'Évry, l'État-providence, et par conséquence le « care », n'est plus adapté aux évolutions de la société mondiale. Il ne sert à rien de promettre une société du bien-être car cela générerait des attentes qui ne pourraient être que déçues. Mais pas d'État-providence ne veut pas dire pas d'état du tout. Si l'on veut réellement aider les Français à comprendre quel est leur intérêt et celui du pays, il faut restaurer l'autorité politique, qui « dans une démocratie, amène l'individu à accepter une décision, un changement, une réforme ».
Partant de la, le député de l’Essonne propose que le projet socialiste, qui , en l'état actuel, d'après lui, promeut «comme panacée une "société du soin"» s'oriente davantage sur une société qui permette à ses citoyens d'agir en toute liberté. Il faut également « restaurer auprès des Français l'idée d'une autorité politique émancipatrice capable de donner à chacun, non pas des soins, mais les moyens de se bâtir, en parfaite autonomie et en responsabilité, un présent et un avenir ».
Manuel Valls nous présente la un projet de société libérale, mais pas au point où l'État serait réduit à sa plus simple expression.
Il n'est certes pas facile en une page de détailler un projet de société, mais on peut faire 2 reproches à cette tribune.
1) Le terme care signifie: soins, attention portée à soi-même ou aux autres, solidarité, fraternité , sollicitude. Nous voyons, avec ces différents sens, qu'il ne s'agit pas, comme le sous-entend Manuel Valls, uniquement de soins médicaux apportés à des malades, mais plus d'un comportement individuel ou collectif, d'une éthique personnelle ou issue d'un contrat social.
C'est au travers de l'éducation, de la culture que cet éthique peut s'acquérir et se développer.
2) Malheureusement pour les libéraux qui fustigent à longueur de journée l'État-providence, le contrat social français est ainsi fait qu'il est inscrit dans la constitution que la nation « assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et qu'elle garantit à tous, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »(Préambule de la Constitution de 1946, alinéas 10 et 11).
il y a donc bien en filigranes, dans la constitution française, quelque chose qui ressemble fortement à la solidarité, à la fraternité, à l'État-providence. Si l'on développe jusqu'au bout la logique de Manuel Valls, ces alinéas 10 et 11 devraient être supprimés car ils empêchent les citoyens d'agir en toute liberté.
Liberté ou égoïsme ? C'est tout de même la question qu'on peut se poser à l'issue de la deuxième crise provoquée par le libéralisme économique qui sévit actuellement partout sur la planète. Ce que Manuel Valls oublie lorsqu'il diagnostique que l'individu est empêché dans « sa capacité d'agir et de répondre aux besoins essentiels de sa famille », c'est que ça n'a rien à voir avec l'État providence mais bien avec la situation dans laquelle le libéralisme économique a enfermé les sociétés, pour les rendre compétitives et rentables, au bénéfice unique et monstrueux d'une caste financière qui se fait verser une rente sur toutes les activités et tous les besoins des individus.
J'ai la fâcheuse impression que Manuel Valls souhaiterait, au nom de la liberté individuelle, livrer chaque individu à cette caste, sans autre protection que celle de sa capacité à se débrouiller seul. Partant de la , il est évident qu'élargir le mot care à la solidarité,à l'entraide, à la fraternité ne peut être qu'un obstacle intellectuel et/ou idéologique. Il le sera d'autant plus pour tous ceux qui, lors du dernier congrès du parti socialiste, ont sifflé le mot fraternité.
Dans le mot fraternité comme dans le mot care, il y a cette notion de sollicitude, d'engagement profondément individuel, d'éthique personnelle envers soi et les autres, qui est le socle de l'engagement collectif. Engagement qui n'a absolument rien à voir avec l'État-providence,qui ne s'adresse pas uniquement à des malades et qui, comme le soulignait Ségolène Royal, lors de la campagne présidentielle, amène à réfléchir sur ce que les citoyens peuvent attendre de l'Etat, non comme des personnes assistées mais des êtres humains responsables d'eux-mêmes et solidaires de leurs concitoyens. Le fameux gagnant-gagnant que beaucoup d'entre nous ont encore du mal à comprendre.
En résumé,Manuel Valls a une approche trop réductrice du terme « care » que Martine Aubry a utilisé lorsqu'elle a présenté les fondements du futur projet socialiste (Lire "Martine Aubry cherche à redynamiser la pensée sociale progressiste".) Ce faisant, il induit une confusion d'interprétation des multiples sens que peut avoir ce mot, pour en arriver à l'amalgamer avec l'État-providence. Certes, il lui faut à tout prix démontrer que l'État-providence est un frein au développement individuel, que l'individu n'est pas malade, n'a pas besoin de soins et que l'État surendetté financièrement ne peut contracté une « dette de soins » vis-à-vis de ses citoyens. Il lui faut également démontrer que le projet actuel du parti socialiste, porté par Martine Aubry, est dangereux pour la société et quasiment inapplicable.
Enfin, il y a là un « grand écart » chez Manuel Valls, assez surprenant. Comment, en effet peut-il « contraindre » un individu à accepter les décisions de l’autorité publique alors qu'il veut libérer « sa capacité d'agir et de répondre aux besoins essentiels de sa famille »? Serait-ce une liberté surveillée, canalisée, une semi-liberté, en quelque sorte?
De ce fait, la tribune de Manuel Valls devient alors non plus un projet, mais une critique mal ficelée, peu convaincante, des adversaires du tribun.
Manuel Valls est député PS de l’Essonne et maire d’Evry.
Source: Le Monde
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